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Refus de la prise en compte de pertes reportées liées à des SCI françaises

Refus de la prise en compte de pertes reportées liées à des SCI françaises

Jurisprudence
Impôts directs

Refus de la prise en compte de pertes reportées liées à des SCI françaises

2C_729/2019

Résumé : le Tribunal fédéral confirme que des pertes reportées liées à une SCI française qui est immatriculée au registre français du commerce et des sociétés ne peuvent pas être déduites du revenu imposable du recourant, étant donné qu’une telle SCI ne constitue pas un établissement stable au sens des art. 4 al. 2 et 6 al. 3 LIFD. En outre, les pertes non compensées des SCI ne peuvent pas être prises en considération en Suisse dans la détermination du taux d’impôt du recourant en application de l’art. 6 al. 3 phr. 3 LIFD car le recourant n’a pas apporté la preuve de l’existence de ces pertes. Notre Haute Cour admet en revanche un grief du contribuable lié à une question procédurale (notification à une ancienne adresse du mandataire).

I. Faits

A exploite à Genève une raison individuelle qui a pour but la rénovation et l’entretien d’immeubles. A est en outre propriétaire de 6 sociétés civiles immobilières (ci-après : SCI) sises en France, 5 d’entre elles étant détenues à 100% et la sixième (SCI G) à 50%.

Dans sa déclaration fiscale pour l'année 2010, A a déclaré des revenus bruts de CHF 1'835'959 au niveau cantonal et communal et de CHF 1'845'466 au niveau fédéral. Il a fait valoir des pertes reportées pour CHF 6'909'578, ce qui entraînait des revenus nuls tant au niveau de l’ICC que de l’IFD, sans produire de justificatifs à cet égard.

Par décisions de taxation du 19 mai 2014, l’Afc-GE a refusé de prendre en compte les pertes reportées invoquées et a arrêté les revenus imposables de A à CHF 1'027'255 pour l'ICC et à CHF 1'044'515 pour l'IFD.

A a formé réclamation contre ces décisions de taxation ICC et IFD 2010 le 3 juin 2014 en invoquant un report de pertes non compensées de CHF 591'730 en lieu et place des CHF 6'909'578 initialement mentionnés dans sa déclaration fiscale. Dans le cadre de cette réclamation, A a produit les comptes commerciaux des SCI ainsi qu’un avis d'impôt du fisc français concernant ses revenus pour l'année 2008 qui faisait état d’un déficit à reporter de EUR 5'085'504 correspondant aux « déficits globaux des années 2003 à 2005 et 2007 à 2008 ».

A la suite d'une procédure menée jusqu'à la dernière instance cantonale, A forme recours auprès du Tribunal fédéral et conclut à l'annulation de l'arrêt de la Cour de justice et au renvoi de la cause à l’Afc-GE pour nouvelle décision.

II. Droit

Après l'examen d'un grief lié à une question procédurale (notification de l'arrêt cantonal à l'ancienne adresse du mandataire), le Tribunal fédéral examine la question de savoir si c'est à bon droit que la Cour de justice a confirmé les décisions sur réclamation du 20 janvier 2017 refusant le report des pertes des SCI exploitées en France par le recourant dans le cadre de la taxation IFD et ICC de l'année fiscale 2010 (consid. 3). 

Le recourant estime en premier lieu que la SCI G doit être reconnue comme un établissement stable situé à l'étranger et que ses pertes reportées doivent être prises en compte dans la détermination de son revenu imposable 2010 (consid. 4). 

Après avoir rappelé la définition de l’établissement stable au sens de l’art. 4 al. 2 LIFD et la règle de l’art. 6 al. 3 LIFD concernant la prise en compte des pertes subies par un établissement stable à l’étranger, notre Haute Cour rappelle que la notion d’établissement stable recouvre uniquement des structures commerciales qui sont dépourvues de la personnalité juridique (consid. 4.3). Or, le Tribunal fédéral constate que la SCI G est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Thonon-les-Bains et qu’elle doit donc être qualifiée de personne morale étrangère dotée de la personnalité juridique en application de l'art. 1842 al. 1 du Code civil français, lequel prévoit que les sociétés civiles immobilières disposent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation. Par conséquent, une qualification de la SCI G en établissement stable situé à l’étranger est exclue (consid. 4.4).

Le recourant expose en outre que le calcul des pertes reportées de la SCI G aurait dû tenir compte des pertes cumulées antérieures à 2003, dans la mesure où la « règle de limitation à 7 ans du report de pertes ne s'appliqu[e] plus en cas de restructuration/assainissement en droit suisse » (consid. 6). Le Tribunal fédéral rejette cet argument en rappelant que la société concernée ne peut pas être considérée comme un établissement stable situé à l'étranger. Notre Haute Cour rappelle par ailleurs que la CDI CH-FR n'apporte pas d'autre solution, celle-ci ne contenant aucune disposition relative à la prise en considération des pertes subies à l'étranger autres que celles provenant d'un établissement stable (consid. 6.1). 

Notre Haute Cour laisse enfin la question ouverte de savoir si la SCI G peut être considérée comme une entreprise située à l'étranger dont les pertes doivent être prises en considération en Suisse lors de la détermination du taux de l'impôt en application de l'art. 6 al. 3 phr. 3 LIFD. Savoir s'il y a eu ou non des pertes à l'étranger relève en effet des faits qu'il appartient au contribuable d'établir, en tant qu'il s'agit d'une question de nature à éteindre ou à diminuer sa dette fiscale. Or le Tribunal fédéral relève que le recourant ne remet pas en cause, sous l’angle de l’arbitraire, les constatations de l’instance cantonale selon lesquelles les comptes des SCI concernées démontrent que ces sociétés auraient été bénéficiaires dans leur ensemble au cours des exercices 2003 à 2009 et qu’il n'y avait aucune perte à reporter pour l'année fiscale 2010. Le Tribunal fédéral constate en outre que le recourant a modifié à plusieurs reprises les montants des pertes reportées qu'il a invoquées, mentionnant tout d'abord dans sa déclaration fiscale 2010 un montant de CHF 6'909'578 puis, dans sa réclamation du 3 juin 2014, un montant de CHF 591'730 avant de conclure à des pertes reportables de CHF 8'814'163, si bien qu'il n'était pas possible, en l'absence de pièces comptables portant sur les années concernées, de déterminer dans quelle mesure les pertes antérieures aux sept exercices auraient pu être prises en considération (consid. 6.2).

Le Tribunal fédéral retient ainsi que c'est à bon droit que la Cour de justice a refusé de tenir compte pour la période fiscale 2010 du report de pertes allégué par A en lien avec ses SCI françaises. Le recours de A est donc rejeté tant en ce qui concerne l'IFD que l'ICC.


Auteur : Fabrice Kuhn

iusNet DF 16.11.2020