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La Suisse accorde l'assistance administrative à la France

La Suisse accorde l'assistance administrative à la France

Éclairages
Droit fiscal international

La Suisse accorde l'assistance administrative à la France

Éclairage de l'arrêt 2C_625/2018 du 1 février 2019

1.    Faits

Le 17 décembre 2015, la Direction générale des finances publiques française (Autorité requérante) a adressé trois demandes d'assistance administrative à l'AFC. Ces demandes concernaient X et portaient sur les périodes fiscales 2010 à 2013 au sujet de l'impôt sur le revenu et l'impôt de solidarité sur la fortune.

En substance, l'Autorité requérante exposait (i) que X était résident fiscal français au moins jusqu'au 1er janvier 2013, (ii) qu'il disposait d'un compte en Suisse auprès de la banque Y et (iii) qu'il avait reçu des sommes importantes sur des comptes bancaires ouverts auprès de la banque Z, notamment par l'intermédiaire de la société A établie au Panama dont il avait admis être l'ayant droit économique. Sa résidence fiscale en France et la perception de revenus de source française impliquaient qu'il doive déclarer en France ses revenus ainsi que son patrimoine situé en France et à l'étranger.

L'Autorité requérante souhaitait savoir si X était considéré par les autorités fiscales suisses comme un résident fiscal suisse. Dans ce contexte, elle souhaitait obtenir une copie des déclarations déposées, ainsi que de l'avis d'imposition, et savoir s'il avait "souscrit en Suisse à des déclarations fiscales sur une base réelle d'imposition". Elle requerrait enfin des informations au sujet de tous les comptes bancaires auprès des banques Y et Z, en particulier les états de fortune au 1er janvier de chaque année (2010 à 2013) ainsi que les relevés de comptes pour cette période.

L'AFC a obtenu les informations sollicitées auprès de l'ACI et des banques Y et Z. Informé de la procédure, X s'est opposé à l'octroi de l'assistance administrative.

Par décision du 15 novembre 2016, l'AFC a accordé l'assistance administrative à la France. Elle a admis la transmission de l'information selon laquelle (i) X était considéré comme résident fiscal suisse depuis le 1er août 2012 et (ii) qu'il était domicilié dans le canton de Vaud depuis cette date, (iii) où il était imposé d'après la dépense (avec indication du montant de la dépense imposable et des impôts dus en conséquence). Elle a également transmis les informations bancaires souhaitées.

X a recouru contre cette décision le 14 décembre 2016 auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF). Dans son arrêt du 20 juin 2018, le TAF a jugé que la demande d'assistance litigieuse remplissait toutes les conditions requises et a confirmé en conséquence la transmission des renseignements demandés par la France, à l'exception de la mention selon laquelle X était imposé en Suisse d'après la dépense. Selon le TAF, cette mention ne remplissait pas la condition de la pertinence vraisemblable (selon le considérant 4.3.5.2 de son arrêt, qui n'est pas accessible dans la version publique du jugement mis en ligne).

2.    Droit

2.1    L'objet du litige

Le litige porte sur la question de savoir si le renseignement selon lequel X est imposé selon le système de l'imposition d'après la dépense en Suisse est un renseignement vraisemblablement pertinent au sens de l'art. 28 par. 1 CDI CH-FR (consid. 2.).

2.2    La notion de la pertinence vraisemblable des renseignements requis

Le Tribunal fédéral rappelle que la condition de la pertinence vraisemblable, prévue à l'art. 28 par. 1 CDI CH-FR, a pour but d'assurer un échange de renseignements aussi large que possible. Cette condition est réputée réalisée s'il existe, au moment où la requête est formulée, une possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révéleront pertinents. Le rôle de l'Etat requis se limite ainsi à un (simple) contrôle de plausibilité (consid. 2.2.1).

Par ailleurs, le Tribunal fédéral rappelle qu'une demande d'assistance administrative peut avoir pour but de clarifier la résidence fiscale d'une personne, même si cette personne est déjà assujettie de manière illimitée en Suisse. La question de la résidence fiscale est en effet une question de fond, qui n'a donc pas à être abordée par la Suisse en tant qu'Etat requis au stade de l'assistance administrative (consid. 2.2.2).

En l'espèce, notre Haute Cour estime que la question du mode d'imposition en Suisse de la personne visée par la demande d'entraide en vue de déterminer son éventuelle résidence fiscale dans l'Etat requérant (France) peut se révéler un élément vraisemblablement pertinent. 

Elle justifie cette position sur la base de l'art. 4 par. 6 let. b CDI CH-FR, selon lequel « n'est pas considérée comme résident d'un Etat contractant au sens du présent article une personne physique qui n'est imposable dans cet Etat que sur une base forfaitaire déterminée d'après la valeur locative de la ou des propriétés qu'elle possède sur le territoire de cet Etat ». Selon notre Haute Cour, il en résulte que si une demande d'assistance administrative française vise à établir la résidence fiscale de la personne concernée, l'information relative au mode d'imposition de cette personne en Suisse constitue un renseignement vraisemblablement pertinent (consid. 2.2 et 2.3).

2.3     La réserve de l'imposition contraire à la CDI

Le Tribunal fédéral a par ailleurs examiné d'office si la transmission des informations à la France pouvait entrainer un risque d'imposition en France non conforme à la Convention, ce que l'art. 28 par. 1 in fine CDI CH-FR vise expressément à éviter (consid. 3).

A cet égard, notre Haute Cour rappelle que la question de la conformité avec la Convention de l'imposition prévue par le droit interne de l'Etat requérant s'examine à la lumière des critères que l'Etat requérant applique pour considérer la personne visée par la demande comme un de ses contribuables. Lorsqu'une telle demande vise un contribuable que la Suisse considère elle-même comme un résident fiscal suisse, le rôle de la Suisse, en tant qu'Etat requis, se limite à vérifier que le critère d'assujettissement retenu par Etat requérant se retrouve dans ceux qui sont prévus dans la norme conventionnelle applicable concernant la détermination de la résidence fiscale (consid. 3.2).

En l'espèce, notre Haute Cour retient que les critères sur lesquels la France s'est fondée pour revendiquer un assujettissement de X en France, soit notamment son adresse en France et le fait qu'il aurait touché des revenus importants en France, figurent à l'art. 4 par. 1 CDI CH-FR, si bien que la demande n'est pas contraire à l'art. 28 par. 1 in fine CDI FR-CH.

2.4    Conclusion

Sur la base de ce qui précède, le Tribunal fédéral a admis le recours de l'AFC et annulé l'arrêt attaqué du TAF (Cour I, A-7800/2016) sur le point litigieux. Il l'a en revanche confirmé pour le surplus. En conséquence, la Suisse accorde une pleine assistance administrative à la France, celle-ci portant également sur le mode d'imposition (imposition d'après la dépense) du contribuable résidant en Suisse.

3.    Commentaire

Le Tribunal fédéral se base dans cet arrêt sur l'art. 4 par. 6 let. b CDI CH-FR pour valider le transfert à la France de l'information selon laquelle le contribuable est soumis à l'imposition d'après la dépense en Suisse.

Cette justification nous parait peu convaincante. Tout d'abord, elle est contradictoire avec le principe - pourtant exposé au consid. 2.2.2 - selon lequel la question d'un éventuel conflit de résidence doit être tranchée dans une procédure au fond (hors de l'assistance administrative). On voit mal, en effet, pourquoi la France aurait besoin de cette information pour déterminer, à ce stade déjà, si cette personne doit être considérée comme un résident fiscal en France selon son droit interne. La détermination de la résidence fiscale en France, qui est une étape préalable avant que l'on puisse établir un éventuel conflit de résidence avec la Suisse, ne peut en effet pas dépendre du mode d'imposition du contribuable en Suisse.

Par ailleurs, il nous semble que l'argumentation du Tribunal fédéral résulte d'une mauvaise interprétation de l'art. 4 par. 6 let. b CDI CH-FR, qui constitue une règle anti-abus et non pas une règle de conflit en cas de double résidence. Cette règle doit ainsi permettre à la France, en tant qu'Etat de la source, de refuser un avantage conventionnel à un contribuable suisse imposé selon le système de la dépense en lui déniant la qualité de résident au sens de la CDI CH-FR. Il ne s'agit donc pas d'une règle pour trancher un éventuel conflit de double résidence. Un tel conflit devrait être résolu dans une procédure au fond et sur la seule base de l'art. 4 par. 2 CDI CH-FR, lequel ne mentionne du reste pas le mode d'imposition comme un critère pertinent dans ce contexte.

En définitive, le Tribunal fédéral accepte de livrer à la France une information qui n'est ni vraisemblablement pertinente dans le cadre de la détermination de la résidence fiscale du contribuable en France sous l'angle du droit interne français, ni même pertinente dans le cas de la résolution d'un éventuel conflit de double résidence qui devrait être tranché sur la seule base de l'art. 4 par. 2 CDI CH-FR.

iusNet DF 23.11.2020