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Demande de sûretés

Demande de sûretés

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Impôts directs

Demande de sûretés

2C_85/2020

Résumé : le Tribunal fédéral confirme l’arrêt de la Cour de justice en ce qui concerne la demande de sûretés visant à garantir le paiement de l’impôt sur le revenu et la fortune. Le Tribunal fédéral rappelle que les mesures de sûretés fiscales constituent des mesures provisionnelles et que, s’agissant d’un recours portant sur de telles mesures, seule peut être invoquée la violation des droits constitutionnels. In casu, l’examen sommaire qui devait être réalisé a permis de rendre vraisemblable : (i) l’existence d’un des deux cas de séquestre, (ii) l’existence de la créance fiscale et (iii) le montant de la créance fiscale.

I. Faits

Le contribuable est un ressortissant américain domicilié dans le canton de Genève. En 2014, l’Afc-GE a ouvert une procédure de rappel d’impôt et une procédure en soustraction d’impôt pour les périodes fiscales 2004 à 2011 ainsi qu’une procédure pour tentative de soustraction d’impôt pour la période fiscale 2012.

Entre décembre 2016 et décembre 2017, l’Afc-GE a notifié des bordereaux de rappels d’impôt, d’intérêts moratoires et d’amendes concernant les périodes fiscales 2004 à 2007 pour un montant total d’environ CHF 15.7 millions. Le contribuable a déposé des réclamations contre ces bordereaux.

Le 8 octobre 2018, l’Afc-GE a notifié au contribuable deux demandes de sûretés concernant l’IFD et l’ICC pour des montants d’environ CHF 3 millions et respectivement CHF 37.5 millions. Ces demandes concernaient les années 2004 à 2014. Pour ce qui concerne les montants des années 2008 à 2014, une extrapolation a été réalisée sur la base des bordereaux déjà notifiés pour les années 2004 à 2007. A l’appui de ces demandes de sûretés, l’Afc-GE a fait valoir l’importance des infractions reprochées au contribuable, le caractère volatile de sa fortune constituée principalement de liquidités et de biens mobiliers ainsi que ses fortes attaches familiales et économiques avec les Etats-Unis.  

Après le rejet de sa demande de reconsidération des décisions du 8 octobre 2018, le contribuable a recouru auprès du Tribunal administratif puis, le 14 juin 2019, auprès de la Cour de justice.

Pour ce qui concerne le fond de la procédure, le 1er juillet 2019, le contribuable et l’Afc-GE ont conclu un accord transactionnel. Suite à cela, l’Afc-GE a statué sur la réclamation formée par le contribuable et lui a notifié de nouveaux bordereaux 2004 à 2006 mettant en œuvre (i) une diminution des reprises, (ii) une baisse de la quotité des amendes et (iii) une suppression des amendes 2004 et 2005 désormais prescrites. Sur ces bases, l'Afc-GE lui a également adressé des bordereaux de taxation pour les périodes fiscales 2012 à 2014. En dépit de l’existence de cet accord transactionnel, le contribuable a recouru auprès du Tribunal administratif contre les nouveaux bordereaux 2004 à 2006 et a fait réclamation contre les bordereaux 2012 à 2014.

Le 18 octobre 2019, dans le cadre de la procédure concernant les sûretés qui était pendante devant la Cour de justice, l’Afc-GE a précisé sa demande de sûretés en modifiant à la baisse les montants. Cette modification était basée sur (i) les calculs plus précis qui avaient été réalisés pour les années 2008 à 2011 qui avaient été taxées entre-temps et (ii), au vu du comportement du contribuable, sa volonté de réaliser ou de requérir des reformatio in pejus concernant la procédure au fond. L’Afc-GE concluait ainsi à ce que le montant total des sûretés soit fixé à environ CHF 27 millions, ce qui a été confirmé par la Cour de justice le 20 décembre 2019.

II. Droit

Le litige devant le Tribunal fédéral porte sur les sûretés destinées à garantir le paiement de l'IFD et de l'ICC pour les périodes fiscales 2004 à 2014 (consid. 5).

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que les mesures de sûretés fiscales constituent des mesures provisionnelles de droit public et qu'en cas de recours, seule peut être invoquée la violation des droits constitutionnels (consid. 2.2).

Notre Haute Cour indique ensuite que, selon la jurisprudence, pour qu’une demande de sûretés au sens de l’art. 169 al. 1 LIFD soit valable, il est nécessaire que i) l’un des deux cas de séquestre soit réalisé, à savoir a) l’absence de domicile en Suisse ou b) le fait que les droits du fisc paraissent menacés, ii) l’existence de la créance fiscale paraisse vraisemblable et iii) le montant de la garantie exigée ne se révèle pas manifestement exagéré. Les sûretés peuvent par ailleurs être modifiées ou révoquées à tout moment selon l'évolution des circonstances. Elles n'ont aucune influence sur l'existence ou sur le montant de la créance fiscale et ne préjugent en rien de celle-ci (consid. 5.1).

Le Tribunal fédéral précise également qu'il limite son examen à un contrôle prima facie de la situation lorsqu'il doit statuer sur un recours portant sur une demande de sûretés (consid. 5.2).

En l’espèce, le Tribunal fédéral constate que le recourant ne conteste pas l'existence d'un cas de séquestre au sens de l'art. 169 al. 1 LIFD mais soutient que ce montant a été fixé de manière arbitraire et qu'il est manifestement excessif (consid. 5.4).

Le Tribunal fédéral retient que les juges de l’instance précédente pouvaient sans tomber dans l’arbitraire pendre en compte le montant des créances fiscales que l’Afc-GE faisaient valoir. Ce faisant, la Cour de justice a en effet adapté le montant des sûretés à l'évolution des circonstances, conformément à la jurisprudence rappelée ci-dessus. Notre Haute Cour précise en particulier que le fait que l'Administration cantonale ait manifesté son intention de demander la reformatio in pejus, ou de procéder in pejus, dans le cadre des procédures relatives aux périodes 2004 à 2006 et 2012 à 2014, était une circonstance nouvelle que la Cour de justice pouvait prendre en considération dans le cadre d'un examen sommaire et prima facie de la situation. C'est donc sans arbitraire qu'elle s'est fondée sur les créances évaluées in pejus pour évaluer les sûretés nécessaires pour garantir le paiement de l'impôt dû pour ces périodes fiscales (consid. 5.6.1).

L’argument du contribuable qui portait sur l’éventualité de retirer son recours dans la procédure au fond a été écarté par le Tribunal fédéral. Ce dernier a considéré que, dans la mesure où l’Afc-GE avait annoncé sa volonté de requérir la reformatio in pejus, le retrait du recours par le contribuable ne mettrait pas forcément fin à l’instance. Il ne s’agissait donc pas d’un moyen qui permettrait à coup sûr au contribuable de diminuer ses dettes fiscales (consid. 5.6.3).

Finalement, le Tribunal fédéral constate que la créance fiscale pour la période 2014 est effectivement prescrite mais considère que la prescription de cette créance représente une diminution marginale des créances fiscales totales. De plus, le fait que les intérêts moratoires continuent de courir compense cette diminution (consid. 5.6.4).

Notre Haute Cour rejette ainsi le grief d’arbitraire dans l’application de l’art. 169 al. 1 LIFD (consid. 5.7). 

Concernant l’ICC, le Tribunal fédéral relève que l'art. 78 LHID ne prévoit pas de règle d'harmonisation contraignante pour les cantons en matière de sûretés (consid. 6). Les dispositions légales applicables en l'espèce (art. 38 al. 1 LPGIP-GE) étant toutefois similaires à celles prévues par le droit fédéral, le Tribunal fédéral arrive aux mêmes conclusions pour l'ICC (consid. 6.3).


Auteur : Gregory von Gunten
 

iusNet DF 16.11.2020