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Information et participation à la procédure pour les personnes non concernées par la requête

Information et participation à la procédure pour les personnes non concernées par la requête

Jurisprudence
Droit fiscal international

Information et participation à la procédure pour les personnes non concernées par la requête

2C_376/2019 (arrêt publié)

Résumé : dans le cadre d'une procédure d'assistance administrative, le Tribunal fédéral a tranché la question de l'étendue de la participation à la procédure pour les personnes non visées par la requête, mais dont le nom apparaît dans la documentation requise. Selon le Tribunal fédéral, l'application du principe de spécialité garantit que les informations relatives à ces personnes ne seront utilisées par l'Etat requérant à leur encontre. Ainsi, seule la démonstration d'un risque concret de non-respect de ce principe contraindrait l'AFC à les autoriser à participer à la procédure.

I. Faits

Le 25 janvier 2018, l'autorité espagnole a adressé à l'AFC une demande d'assistance administrative visant la situation fiscale de B. Elle y expliquait que B avait transféré ses droits d'image à la société brésilienne B s/s Limitada (ci-après B Ltda), détenue par ses parents, et qu'elle voulait vérifier si cette cession était intervenue aux conditions du marché. A cet effet, elle souhaitait notamment obtenir de la société suisse A SA les contrats qu'elle avait conclus avec B Ltda et en particulier ceux qui concernaient les droits d'image de B (« contracts signed by A with B Ltda »,  « any other contract signed by A SA related to B's image rights »).

Par ordonnance de production du 19 février 2018, l'AFC a demandé à A SA de lui fournir les documents requis, d'informer B de l'ouverture de la procédure d'assistance administrative et de l'inviter à désigner un représentant en Suisse. Le 14 mars 2018, A SA s'est opposée à la transmission de renseignements à l'autorité espagnole, parce qu'ils étaient, selon elle, couverts par le secret d'affaires et que leur production pourrait lui causer un préjudice pécuniaire. Le 29 mars 2018, l'AFC a maintenu son ordonnance de production, faute d'éléments suffisants lui permettant d'admettre que les renseignements demandés étaient couverts par le secret d'affaires.

Suite à plusieurs échanges complémentaires entre l'AFC et A SA ainsi que B, l'AFC a communiqué à A SA et à B les renseignements qu'elle entendait transmettre et ces derniers se sont déterminés à ce sujet les 21 et 26 septembre 2018. Parmi ces renseignements figurait le contrat relatif aux droits de B, qui liait non seulement A SA et B Ltda, mais aussi des entités brésiliennes du groupe A, ainsi que les sociétés brésiliennes C Ltda et D Ltda (toutes ces sociétés collectivement désignées ci-après : les Sociétés brésiliennes).

Par décision finale du 30 octobre 2018, notifiée à B et à A SA, l'AFC a accordé l'assistance administrative aux autorités espagnoles. A SA a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral pour demander, principalement, son annulation, subsidiairement, le caviardage du nom des Sociétés brésiliennes. 

Dans son arrêt du 8 avril 2019, le Tribunal administratif fédéral a constaté la nullité de la décision de l'AFC, en raison d'une violation grave du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) des Sociétés brésiliennes, lesquelles n'avaient pas été informées de la procédure par l'AFC, directement ou par l'intermédiaire de A SA. Cela les avait privées de la possibilité de participer à la procédure.

II. Droit

Dans un recours au Tribunal fédéral concluant à l'annulation de cet arrêt, l'AFC soutient qu'aucune obligation d'informer d'office toutes les personnes indirectement concernées par une demande d'assistance administrative ne peut lui être imposée. Cela entraverait l'échange de renseignements de manière incompatible avec les engagements internationaux de la Suisse. Selon l'AFC, seules les personnes qui se manifestent auprès d'elle endossent la qualité de partie (consid. 4.2).

La question juridique de principe soumise au Tribunal fédéral porte sur l'étendue de l'information des personnes, qui ne sont pas elles-mêmes visées par la demande de l'état requérant, mais dont le nom apparaît dans la documentation requise par l'état requérant (consid. 1.2).

Selon le Tribunal fédéral, aucune règle quant à la participation à la procédure des personnes visées ou non ne figure dans le MC-OCDE. Ces questions relèvent, sous réserve de limitations de la CDI applicable, de la procédure selon le droit interne de l'état requis, en l'occurrence dans la LAAF et la PA (consid. 6.1). Les États parties à la CDI doivent faire preuve de diligence lors du traitement des demandes et leur droit interne ne peut conduire à éviter ou retarder sans motif le processus d'échange de renseignements (cf. ch. IV par. 5 et 6 du Protocole à la CDI CH-ES). Le principe de diligence figure également dans la LAAF (art. 4 al. 2 LAAF). Toutefois, ce principe ne doit pas s'opposer à la mise en œuvre des garanties procédurales en droit interne, lesquelles ne doivent pas avoir un effet dilatoire (consid. 6.2).

Selon l'art. 14 al. 2 LAAF, l'AFC informe, outre la personne concernée, les autres personnes supposées habilitées à recourir selon l'art. 19 al. 2 LAAF. Cette disposition confère la qualité pour recourir aux personnes qui remplissent les conditions prévues à l'art. 48 PA, notamment quiconque a un intérêt digne de protection à l'annulation de la décision. Cet intérêt doit être direct et concret et se trouver, avec la décision entreprise, dans un rapport suffisamment étroit, spécial et digne d'être pris en considération (consid. 7.1.2).

En matière d'assistance administrative, les tiers sont protégés par le principe de spécialité interdisant l'utilisation par l'Etat requérant des renseignements reçus à leur encontre. Ainsi, la mention du nom d'un tiers dans la documentation requise ne suffit pas à faire naître en sa faveur un intérêt digne de protection. Il lui faut en sus se prévaloir d'autres circonstances, tel un risque concret de non-respect par l'Etat requérant du principe de spécialité. Un intérêt digne de protection ne découle pas pour ce tiers du fait que son nom ne constitue pas un renseignement vraisemblablement pertinent. En revanche, cela serait le cas si la transmission de son nom contrevient à la LPD (cf. arrêt 2C_545/2019 du 13 juillet 2020, consid. 4.5) (consid. 7.1.3).

Le Tribunal fédéral précise également que l'AFC n'a pas à informer de l'existence d'une procédure toutes les personnes qui pourraient avoir qualité pour recourir au sens de l'art. 19 al. 2 LAAF, mais uniquement celles dont on peut supposer qu'elles le sont, c'est-à-dire lorsque cela est évident (consid. 7.2).

Sur la base de ce qui précède, le Tribunal fédéral annule la décision entreprise, considérant que les sociétés brésiliennes n'avaient pas la qualité pour recourir et, partant, le droit à exercer leur droit d'être entendu (consid. 7.6 et 8).


Auteur : Julien Witzig
 

iusNet DF 16.11.2020